Je suis fascinée par le processus de la métamorphose ; ce passage d’un état à un autre – en particulier le changement qui se produit durant le cycle de vie des libellules, des papillons et des phalènes qui leur permet, durant une partie de leur existence, de voler.
Dans ma vie, j’ai vécu plusieurs transitions quasi métamorphiques, provoquées par des personnes, des lieux et des expériences que j’ai rencontrées sur mon chemin, et dont je suis à chaque fois sortie renouvelée.
Au cours des 10 dernières années, j’ai été confrontée à une série de tournants majeurs. À chaque fois, je suis restée un certain temps sur le seuil, comme une chrysalide, à envisager mes prochains pas. Lorsque je me trouvais là, je savais juste une chose : je n’étais plus là où j’avais été ; mais je n’étais pas encore certaine de ce qui m’attendait. Des choses comme un changement de statut conjugal, une transition de carrière et des nouvelles médicales inattendues ; ces dernières combinées à une pandémie mondiale. Chaque détour inattendu s’accompagnait d’une période d’immobilité durant laquelle mon monde intérieur ajustait sa compréhension des changements potentiels à venir. À première vue, tout cela semblait être un fardeau, mais à chaque fois, une modification de contexte a permis de faire de la place pour que quelque chose de beau puisse émerger.
Entre juin 2019 et début 2021, une porte de sortie s’est présentée inopinément sur mon chemin, et mon principal objectif a été de l’éviter. Je l’ai fait en subissant deux chirurgies majeures – l’une sur mon colon, puis un an plus tard une autre sur mon foie. Malgré toutes les tentatives pour éviter la chimiothérapie prescrite, j’ai capitulé, car la peur semée en moi avait supplanté le désir de mon cœur de dire « non ». Étant un être spirituel, j’ai choisi de collaborer avec la médication sur le plan quantique, en visualisant qu’elle éliminait les cellules dissidentes tout en laissant les autres intactes. J’ai miraculeusement surmonté tout cela, portée par le soutien des amis, de la famille, du rire et de l’amour.
Ce passage de temps m’a offert en cadeau la conscience que « ceci n’est pas éternel » et que « je ne suis pas éternelle, dans cette forme », et cela m’a transformée.
Je crois que la maladie ne se limite pas à la génétique, et que la vie ne se limite pas à ce que l’on peut voir au premier coup d’œil. Le véhicule qui abrite notre âme possède une intelligence qui dépasse nos capacités, tout comme le monde de la nature qui nous sustente. Je voulais vraiment faire partie de ces gens qui ont guéri sans intervention médicale. J’avais un puissant désir de vivre plus longtemps, et à l’époque, la médication semblait être la réponse. Mais le poison injecté a tellement affecté mes nerfs que je ne pouvais plus ni sortir à l’extérieur, ni me servir dans le réfrigérateur, ni me laver les mains sans réchauffer l’eau. J’ai appris à soulager la nausée avec le rire et de la gomme à mâcher au gingembre, et j’ai choisi de rester positive durant tout cela.
Mon partenaire Michael a créé pour moi un jardin, et j’ai vu la vie nouvelle émerger sous mes yeux, à partir de minuscules graines nourries par le soleil, la pluie et les mains diligentes des amis et de la famille, qui en même temps prenaient soin de moi en m’offrant de la nourriture et des gestes pleins de bonté. Tout ceci était un baume pour mon âme mais ce que je désirais par-dessus tout, c’était le toucher – le genre de toucher qu’une mère offre à son enfant ; j’imaginais les mains de ma mère balayant mes cheveux et caressant doucement ma joue. Il y avait de l’amour à la pelle, mais comme nous étions en plein dans les premières temps de la pandémie, les conséquences potentielles d’un contact trop rapproché pesaient lourdement sur ceux qui m’étaient chers, leur faisant craindre d’infecter mon système immunitaire déjà affaibli. Face à tout cela, j’avoue avoir vécu des accès de frustration, mais j’ai tenu bon dans ma détermination intérieure à retrouver la santé.
Une source fiable m’a suggéré de plonger dans le rôle que les émotions jouent dans la maladie. Alors j’ai commencé à travailler avec un ami psychologue dont la pratique était centrée sur le modèle des constellations familiales, et nous nous sommes très rapidement focalisés sur la colère tapie sous le masque de politesse conventionnelle que je portais. J’avais banni mes parts d’ombre. Tôt dans ma vie, j’avais appris à enfouir ma colère pour rentrer dans le statu quo ; je me suis pliée en quatre pour être une bonne fille comme il faut, mais je l’ai payé. J’étais devenue hyper¬perfectionniste, et mon sentiment de valeur personnelle dépendait entièrement de l’opinion des autres. Je m’étais laissée acculturer, jusqu’à perdre ma voix propre, et dans le processus, le potentiel de celle que je pouvais être s’est caché dans la clandestinité afin que je puisse trouver ma place. Cette réalisation a détruit l’emprise que cela avait sur moi, et malgré les circonstances, j’ai été véritablement libre pour la première fois de ma vie. À tel point que la tumeur, qui n’avait pas changé de taille après la chimio, s’est réduite de moitié en deux petites semaines.
Les expériences de ce genre sont très personnelles, et dépendent de ceux qui les traversent. La vie avait toujours trouvé un moyen de communiquer avec moi à travers des signes (le langage du monde) et cela passait indéniablement par des expériences troublantes au contact de la nature. Quand mon père est mort, c’étaient des hérons, pour ma grand-mère, des colibris, et au cours des dix dernières années de ma vie, c’étaient des libellules, des papillons et des phalènes.
Environ une semaine avant la résection du foie, la chimio était suffisamment lointaine pour que je puisse m’asseoir sous un parasol, sur le dock de notre maison au bord du lac. Une nymphe de libellule apparut doucement devant moi, et je la vis émerger, puis une autre grimpa le long de ma jambe, et durant environ une demi-heure, j’ai eu le privilège d’être aux premières loges pour observer la métamorphose en action. J’ai su à ce moment-là que peu importe ce qui arriverait, tout irait bien.
Il s’est passé moins d’un an, j’ai écrit deux livres, crée un site web, je me suis mariée, je passe régulièrement des soirées à jouer à des jeux de société avec mes fils adolescents, il y a beaucoup plus de « jeu » dans ma vie, et dans le fond, je me suis réinventée par rapport au monde, de sorte que j’ai une vie remplie de choses qui m’apportent de la joie. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
Quelque part au cours des dernières semaines, j’ai pris l’énorme décision de démissionner de mon travail à l’école locale et de me lancer à fond dans l’écriture et les conférences ; il y a quelque chose au fond de moi qui désire être offert au monde et je ne peux plus lui refuser voix au chapitre. Alors je n’ai pas été surprise quand trois papillons lune sont apparus à l’extérieur de la maison, aussi rares soient-ils, et qu’ils sont revenus tous les matins pendant une semaine, pour se reposer dans un endroit bien visible à côté de ma porte d’entrée. Mon cœur a immédiatement su que j’étais sur la bonne voie et qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence ; pour moi, c’était la confirmation que l’essence-même de qui je suis avait fait surface, accompagnée de la certitude qu’il était temps de prendre mon envol !
Crédits photos : Krzysztof Niewolny, Evie S., Emiel Molenaar